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Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Conseillé par (Libraire)
10 avril 2015

Histoire d'une mort annoncée

Ce conte tragique est une charge violente contre une religion qui prétend contrôler toute la vie des femmes -surtout- et des hommes -aussi.
Bilqiss est une jeune femme qui s'est construite libre, indocile et cultivée. Un matin, le muezzin ne se réveillant pas, elle monte au minaret pour proclamer l'adhan, l'appel à la prière du lever du jour. Comme une femme n'a pas le droit d'élever la voix, elle est faite prisonnière. Pendant le procès, ses adversaires lui trouvent plein de transgressions, généralement ridicules, et attendent que le juge la condamne au fouet puis à la mort par lapidation. Chaque jour, le juge trouve une argutie juridique pour reporter la sentence au lendemain.
Au début, on est révolté par le ridicule des accusations portées contre Bilqiss et par l'issue annoncée du procès. Quand arrive Léandra, une journaliste américaine privilégiée, on s'attend à ce que Bilqiss la reçoive avec plaisir. Mais ce que Bilqiss demande à l'occidentale, c'est de lui jeter la première pierre, une grosse pierre qui la tue immédiatement pour qu'elle ne souffre pas. Elle refuse la compassion de la journaliste qui voudrait la sauver alors que Bilqiss vit dans un monde qu'elle veut quitter. Cette attitude de Bilqiss met mal à l'aise. Qui sommes-nous pour nous ingérer dans la vie d'un monde qu'on ne peut comprendre et encore moins juger ?
Le juge est un homme piégé. Il a vécu des moments douloureux, il a subi l'endoctrinement, il doit appliquer la charia et il est amoureux de Bilqiss. Il est autant prisonnier des lois que Bilqiss, sauf qu'elle a trouvé le moyen de s'élever au-dessus de l'obscurantisme religieux, de transcender sa situation grâce à son amour de la poésie persane, à sa culture, et de vivre sa foi au-delà de la religion.

Dans ce huit-clos entre une femme musulmane, un juge amoureux et une journaliste américaine, chacun des trois personnages possède une part de la vérité, ce qui interdit les clichés. Bien sûr, les femmes vivent quelque chose d'horrible, mais les hommes souffrent aussi, et comme le dit Bilqiss à Léandra "regardez vos femmes"...
C'est donc un conte et il faut le lire comme tel. Ce n'est pas un livre sur la religion, mais plutôt sur une femme qui s'est appropriée sa foi, son Dieu, qui honore Allah en vivant pieusement sa foi plutôt qu'en le flattant par la soumission. C'est la mise à la lumière de la terrible situation d'un islam dévoyé, devant laquelle nous sommes impuissants.
C'est un texte fort, prenant, terrible.

"Nous irons tous en enfer parce que nous aurions tous pu faire mieux".
" mais quel gâchis, mon Dieu, quel gâchis..."

Conseillé par (Libraire)
7 avril 2015

Cet ouvrage est une incursion dans le monde des esthéticiennes, ces femmes qui dans l'intimité d'une cabine de soins s'occupent "du corps des autres pour leur bien-être et leur agrément". Socialement, l'esthéticienne est peu connue parce qu'il faut, pour que ses clientes soient belles et admirables, qu'elle reste invisible. Ses compétences techniques sont pourtant variées et larges : "épilation, soin du visage et du corps, modelage, onglerie, maquillage, (…) palper-rouler, massage ayurvédique, hydrothérapie, digitopression, réflexologie plantaire", mais elle reste une manuelle et une travailleuse de l'ombre.
Dans leurs instituts,, les esthéticiennes peuvent aussi "jouer le rôle de psy, de coach, d'infirmière, d'assistante sociale". Certaines se sont formées à la socio-esthétique pour prodiguer des soins esthétiques à des populations fragiles : personnes âgées, malades, toxicomanes, sans -abris, détenus.
Au-delà de l'apparence, cette profession, souvent jugée futile et même stupide, a une réelle utilité sociale. A leur façon, les esthéticiennes aident ces personnes à aller mieux en prenant soin de leurs corps abandonnés, déchus, en essayant de les soulager par des soins physiques, la souffrance physique, psychologique ou sociale.

L'ouvrage d'Ivan Jablonka est différent des autres en ce qu'il laisse moins de place à un ou plusieurs longs témoignages. Il regarde en profondeur ces personnes dont il signales qu'elle ont choisi leur métier, qu'elles travaillent beaucoup pour de petits salaires, et fournit une lecture de ce qu'elles disent de la place du corps dans la société , du regard de l'autre, de l'exigence de l'homme sur sa compagne, de la soumission des femmes au désir ambiant, de la tyrannie de la beauté, de la peur de vieillir, de la "traque du poil".
L'enquête d'Ivan Jablonka revalorise les esthéticiennes. Tout à la fin, il affirme que "l'esthétique est un humanisme".

Conseillé par (Libraire)
27 mars 2015

Sombre et violent

Dans la famille Cusimano, rien ne va. Le père est en prison à cause d’un accident mortel. Patrick et son frère vivent de boulots pas vraiment gratifiants et noient leur ennui dans l’alcool. Patrick s’est pris d’amour pour Caro, la petite amie de son frère, la seule personne de cette histoire qui soit à peu près construite. Et voici qu’une jolie fille gothique, Layla, s’intéresse à lui plus qu’il ne faudrait…

Dans la famille Elshere, ce n’est guère mieux. Les parents sont des évangélistes fondamentalistes obsédés par la virginité de leurs filles. Layla fait ce qu’il faut pour les choquer et leur échapper. La plus jeune, Verna est la risée de son lycée et fait ce qu’il faut pour échapper à l’emprise de ses parents. Layla cherche à sauver sa soeur qui rejoint son petit groupe de déglingués et son leader, Justinien.

Tout ceci est violent très violent et sombre. Pourquoi vous cacherai-je que ça ne va pas bien finir ? Pourtant, alors que chacun pourrait échapper à la spirale de la destruction, aucun n’est en mesure de se reculer, de choisir celui avec qui il pourra s’écarter de cette ambiance mortifère pour se sauver et tenter de vivre quelque chose de pacifié.
Oui, c’est violent et sombre, et très prenant.

Conseillé par (Libraire)
15 mars 2015

Lou Kapikian est atteinte d'une insuffisance rénale. Elle a subi des dialyses pendant sept années avant de recevoir une greffe de rein. Elle raconte sa vie de malade et combien sa vie personnelle et professionnelle en est affectée pour toujours.
Je ne connaissais rien de l'insuffisance rénale. J'en ignorais la gravité et que c'est une affection mortelle. Je n'imaginais pas combien les séances de dialyse peuvent être contraignantes et consommer de temps de vie. J'ai découvert qu'on peut greffer un rein de qualité douteuse à une jeune femme ayant subi sept années de dialyse. Je n'ai -hélas- pas découvert que pour le monde médical et infirmier, nous pouvons n'être que des corps, pas des personnes ayant une vie personnelle, des sentiments, des angoisses, de la souffrance morale.
Avec un grand courage et une une volonté de vivre chevillée au corps, Lou Kapikian fait le récit réaliste et émouvant d'une réalité dure et éprouvante.
Un récit que je place parmi les meilleurs de la collection.

En écho, on pourra lire le roman de Maylis de Kérangal, Réparer les vivants.

Conseillé par (Libraire)
8 mars 2015

Une jeune femme courageuse et libre

Peu après la Libération, Maria Salaün est tondue pour avoir eu une liaison avec un allemand. C'est Antoine, qui a été amoureux d'elle, qui dirige le massacre de sa belle chevelure rousse. Maria subit l'affront vêtue d'une robe en mousseline blanche, assise sur une chaise de bistrot, stoïque, regardant droit devant elle.
Ainsi, ce roman nous emmène dans une des suites meurtrières de la Seconde guerre. Avec un grand talent de conteuse, Fabienne Juhel nous entraîne sur le versant lumineux de cet événement. Car Maria, tondue, aurait pu s'exiler, se cacher, sombrer dans une dépression coupable, fréquenter le malheur, choisir une vengeance de sang. Elle n'aurait alors rien retrouvé de sa beauté, de son honneur, de sa fierté. C'est ce qu'elle choisit, elle qui a subi l'affront et à qui on a voulu faire honte, reconquérir le droit de vivre à la lumière, réclamer le respect de sa liberté, dire combien l'amour n'a rien à voir avec la folie des hommes de guerre, refuser la haine, obtenir le pardon pour l'erreur commise. Elle fait une liste de six personnes qui vont devoir comprendre et reconnaître leur faute, lui donner leur pardon.

Fabienne Juhel continue d'imposer son style bien identifiable, ses phrases courtes, sa vision poétique des événements, ses titres mystérieux, sa symbolique liée à l'observation de la nature. Elle mélange la réalité avec une sorte de surréalisme, une spiritualité qui n'est pas que biblique, qui s'abreuve à ce que l'humain peut faire et vivre de beau et de grand. Elle met en forme un monde où la violence est vaincue par l'honneur, l'amour et l'amitié, par l'impératif de justice.
Sans craindre, elle qui connaît ses auteurs et Saint-Brieuc, n'hésite pas à créer une relation empreinte d'amitié et de bienveillance entre Maria et Louis Guilloux, l'écrivain qui a vécu dans les lieux-mêmes où Maria et son père tiennent une auberge, et qui fût effectivement interprète pour les tribunaux militaires américains.
Une réflexion sur la folie de la guerre, le sectarisme et l'intolérance, sur la justice. Un hommage au courage. Une belle lecture qui fait élever le regard.

En rapport avec ce roman, on pourra lire : "O.K., Joe !" de Louis Guilloux.