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Albertine

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Sous le pseudonyme d'Albertine, hommage à Marcel Proust, se dissimule une Joëlle passionnée de lecture depuis l'enfance. Mon appétit d'ogresse pour les mots, les histoires, les voyages à travers les pages ne s'est pas atténué avec les années. Je marche au coup de cœur, guidée par ma curiosité qui m'incite toujours à découvrir de nouveaux écrivains, à explorer de nouveaux genres. Je navigue entre romans policiers, fresques historiques, livres feel-good et essais sur l'actualité, au gré de mes humeurs et des rencontres avec certains auteurs. Participer à Dialogues Croisés, c'est partager ce bonheur de lire et avoir l'opportunité de mettre dans la lumière des « pépites » littéraires.

17,90
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26 juin 2016

Et si "banalité" rimait avec beauté ?

Quelques mots du poète Rutebeuf en guise de titre, j'étais déjà conquise. Le dernier livre de Jean-Claude Mourlevat, un de mes auteurs préférés a, en plus, le bon goût de se dérouler à Ouessant, je me suis donc précipitée sur "Mes amis devenus". Et j'ai eu raison. Pourtant l'auteur nous raconte une histoire qui, sous forme d'un synopsis, pourrait faire hausser les épaules : trop vu, trop rebattu, pas assez sensationnel, pas assez accrocheur. Silvère, une petite soixantaine, est venu un jour en avance, à Ouessant. Il attend ses amis d'enfance et d'adolescence avec lesquels ils formaient une sorte de "club des cinq", dans les années 1960. Ce n'est pas lui qui est à l'initiative de ces retrouvailles, mais Jean, celui des cinq qu'il n'a jamais perdu de vue,devenu son plus -que- frère, le jour de leur rentrée à l'internat en Sixième. Les autres, Luce, Mara et Lours', il ne garde d'eux que leur image à 17 ans, avant que chacun parte de son côté. Que sont-ils devenus ? Comment la vie s'est-elle chargée de les "transformer" ?

Avant leur arrivée, Silvère remonte, sans même le vouloir, à la source, à sa naissance, à son enfance. Jean-Claude Mourlevat, avec sa tendresse infinie pour les gens ordinaires, ressuscite pour nous Louveyrat, un petit village, près de Clermont-Ferrand, la ferme familiale et son élevage de pintades, le chien Bobet, considéré comme un vrai membre de la famille et le jeu des Mille Francs, suivi religieusement. Il nous raconte aussi une folle virée en Belgique dans le camion du père de Jean, l'arrivée de Mara, en classe de Quatrième, Mara et ses yeux qui "brûlent, caressent et noient", tout à la fois. Leur trio devient quintet avec la venue de Lours', géant débonnaire et triste et Luce, grenade dégoupillée que le groupe va stabiliser. Les souvenirs lui reviennent par vagues et les titres de chapitres illustrent cette "déferlante" pas toujours très ordonnée : "Bobet. Les deux frères.Les yeux noirs" ; "La factrice. Nioucasseul. La factrice" ; "Les pneus. Le matin d'été. La raclée.".

Le ferry va bientôt accoster et "le club des cinq" se reconstituer pour quelques jours. Faites confiance à l'écrivain pour vous concocter des scènes tendres, drôles, poignantes ou inattendues. Quelques jours ordinaires, quelques jours à parler, se promener, manger, redécouvrir l'autre que les années ont façonné. Merci Jean-Claude Mourlevat pour ce moment de grâce où une nouvelle fois, vous nous montrez que ce que certains nomment" banalité "peut être d'une incroyable beauté.

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11 juin 2016

L'auteur est le frère de...

Une blogueuse et amie m'a fait remarquer que l'auteur était de le frère de... sans plus de précision. Le frère de … ? Réflexe Wiki (Je sais c'est mal mais tellement rapide!). Valentin Musso est le frère de Guillaume Musso, écrivain à succès aussi aimé que décrié. Je me disais aussi que le nom de Musso avait quelque chose de familier. Je ne porterai pas de jugement sur les livres du frère aîné, je ne les ai pas lus. Revenons plutôt au thriller du cadet, qualifié de « page-turner » sur la quatrième de couverture. « Page-turner », la formule magique ! Le moyen de faire une pause dans le remue méninge de la belle aventure des « 68 premières fois ». Objectif atteint !
L'histoire se déroule à Quimperlé, petite commune du Sud-Finistère. Le détail a son importance. Quimperlé, ce sont mes années au lycée de Kerneuzec et j'ai été sensible à la description de lieux que je connais bien. Il pleut tout de même beaucoup dans ce roman, la rivière locale, la Laïta, déborde et les personnages paraissent toujours trempés, parfois même quasiment à essorer. Il s'agit peut-être d'une métaphore, les gouttes d'eau comme autant de larmes ou alors d'un cliché sur la Bretagne...
Deux quinquagénaires parisiens, François et Mathilde Le Vasseur, respectivement professeur d'université et galeriste, vivent maintenant à demeure dans leur résidence secondaire bretonne. Ils ronronnent, ils vivotent, éloignés de la capitale par le fait divers effroyable qui ouvre le roman. Un jour de pluie, François crève un pneu sur la route et un jeune homme, Ludovic, lui vient en aide. De fil en aiguille, il en vient à entretenir leur jardin puis à faire des travaux dans l'annexe destinée à Camille, la fille du couple.
La présence de Ludovic semble réveiller la longère, le duo devient trio et donne à voir l'image d'une « vraie famille ». L'histoire nous est racontée tout d'abord par François, le relais est pris par Ludovic, qui laisse la parole ensuite à Mathilde. Peu à peu, l'image idéale se craquelle, l'angoisse s'insinue dans les méandres du récit, la folie rôde entre les lignes...
Le roman de Valentin Musso, dans la lignée de ceux de Michel Bussi, est bien construit et se lit avec plaisir. Un roman à glisser dans la valise pour les vacances.

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5 juin 2016

A la fin de l'envoi, je touche...

Ne vous fiez pas au titre "Le Club du tricot" qui semble nous offrir comme horizon d'attente des mamies et de jeunes mamans préparant amoureusement layette, pull, châles et autres chaussettes au point de mousse ou de jersey. Maria Reimondez campe des personnages bien plus haut en couleur qui se trouvent réunis par une envie commune de tricoter, mais dont les parcours de vie sont très différents. Que peuvent avoir en commun Elvira, vieille grenouille de bénitier et Luz, prostituée de quarante ans à l'âme et au corps usés ? La même question se pose pour Matilde, au physique éléphantesque, hors norme, que le 19ème siècle aurait utilisé comme phénomène de foire et Rebecca, à la plastique de poupée Barbie ? Idem entre Axos, professeur d'économie à l'université et Fernanda, l'unijambiste qui n'a comme public que les poules élevées dans sa courette ?

6 femmes, 6 destins et un point de convergence, la maison de quartier où elles se retrouvent le jeudi soir pour le cours de tricot. Le roman s'ouvre sur des faits divers, des décès accidentels ne touchant que des hommes. Curieusement, ceux-ci semblent avoir été évoqués lors des conversations au cours. Au fil des semaines et des ouvrages qui avancent, les six femmes se confient, se dévoilent, se révèlent autres que les étiquettes que la société leur a collées sur le front et en viennent à former une sororité farouchement féministe. Chacune à leur tour, les membres du club nous racontent leur histoire, nous faisant passer du quotidien d'une "bigote" à celui d'une "travailleuse du sexe, des questions existentielles d'une universitaire à celles d'une femme de ménage. Ces quotidiens sont tous marqués par la présence, à quelques rares exceptions, d'hommes imbus de leur pouvoir, d'une bêtise parfois crasse et souvent prêts à jouer du poing pour avoir le dessus. Ils auraient dû se méfier de ce loisir inoffensif qu'est le tricot. Qui dit tricot dit aiguilles et elles ne sont pas s'en rappeler la forme d'une épée.

Les ouvrages avancent et l'hécatombe commence. Pour ces femmes, la devise "A la fin de l'envoi, je touche" devient une réalité. Ce roman, militant, à l'excès peut-être, peut se lire aussi comme un conte moderne où des femmes armées de leurs aiguilles pourfendraient le machisme ordinaire et les idées reçues.

J'ai apprécié cette lecture même si la construction du roman m'a parfois semblé un peu artificielle et la traduction de temps en temps maladroite. Maria Reimondez nous offre de beaux portraits de femmes, indépendamment du discours féministe très prégnant.

Prix Renaudot des Lycéens - 2016

Alma Éditeur

18,00
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27 mai 2016

Le fil rouge de la broderie

Ce roman est découpé en trois "livres" dont les titres sont des prénoms Magdalena, Libuse et Eva. Magdalena est la mère de Libuse et Libuse est la mère d'Eva. Leur "lignée" de femmes se transmet l'art de la broderie et le fait d'être de père inconnu. Ce sont des "bâtardes" et ce mot les poursuit, leur offrant une certaine liberté, les exposant aussi au mépris, aux railleries, à la mise à l'écart par une société tchèque qui déteste celles qui ont fait un pas de côté.

Avant même de parler de ces trois femmes, il me semble essentiel d'évoquer Marie, la matriarche, la mère de Magdalena. Tout a finalement débuté avec elle à Vienne. Marie a vécu auprès d'un gynécologue obstétricien juif, elle a appris auprès de lui l'art de donner la vie. Il avait une famille, tout ce qu'il y a de plus officielle, et à côté, Marie et leur fille, Magdalena, une seconde famille de l'ombre. Avant la Seconde Guerre Mondiale, le médecin a fui sans la prévenir et Marie a décidé de retourner dans sa patrie, la Tchécoslovaquie. La citadine redevient paysanne et met son don d'accoucheuse au service de leur village d'adoption. Cette femme, très belle, économe de ses mots et de ses élans de tendresse, est présente tout au long de l'histoire. Elle apprend aux femmes de sa lignée l'art de la broderie, l'art aussi de respirer goulûment les bouffées de bonheur que la vie ne leur accorde que très rarement.

L'auteure met en avant les femmes, leur intimité, la maison de Marie devenue gynécée mais les hommes ne sont pas pour autant oubliés. Ce n'est pas parce qu'aucun nom de père n'apparaît sur les registres de naissance qu'ils n'ont pas pour autant existé. Un médecin,un aubergiste, un fils de propriétaire terrien, un soldat russe, un Boiteux malfaisant, un délicat poète, la tête dans les étoiles, et son frère plus terrien. Certains se sont montrés tendres et aimants, d'autres d'une brutalité sans nom. Le fait est qu'ils n'occupent qu'une place secondaire dans l'histoire des quatre femmes. Ils peuvent sembler maîtres à bord, les maintenir sous leur coupe, elles trouvent toujours un moyen de s'évader, de trouver le soleil au milieu des giboulées.

Retirées dans leur petit village, l'Histoire, la grande, leur parvient de manière un peu atténuée. Leur monde est campagnard, elles sont proches de la nature, aiment profondément les vaches, si placides et apaisantes. Le passage des saisons rythme les années. Bien sûr, en filigrane, la Tchécoslovaquie connaît de profonds changements : l'expropriation des propriétaires terriens allemands après la Seconde Guerre Mondiale, l'apparition et l'installation du communisme et la mutualisation des biens, le printemps de Prague. Marie et ses descendantes s'adaptent, plient sans rompre mais gardent, bien dissimulée au fond de leur cœur, le goût de la liberté.

Pour nous raconter ces femmes, Lenka Hornakova-Civade a écrit en français. Elle est tchèque mais vit en France depuis 1991. Elle a choisi notre langue et l'utilise avec une incroyable délicatesse, une justesse de chaque instant. Les mots sont de splendides parures pour Marie, Magdalena, Libuse et Eva. Des parures faites de douceur, de douleur, de plaisir, de mépris, de violence mais aussi de vie.

Un très beau roman

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15 mai 2016

Un jitterbug avec Paul Thibaudeaux...

Tim Gautreaux nous prend par la main et nous conduit tout droit à Tiger Island, une bourgade de Louisiane, pour y retrouver Beau Gosse (alias Paul Thibodeaux). Les distractions sont rares dans la petite ville. Dans les gargotes qui ont poussé comme des champignons avec l'installation de puits de pétrole, on peut déguster des écrevisses et des crabes au poivre, participer à des bagarres généralisées et danser le jitterbug. Beau Gosse a la danse dans le sang et Colette, son épouse, est la partenaire idéale. Seulement, elle se fatigue vite, rentre se coucher tôt et Paul continue à faire virevolter des filles jusqu'au petit matin. Tous les deux sont très jeunes et n'ont pas les mêmes rêves en tête, la même idée de leur futur.

Colette, une maîtresse femme, parfois d'une incroyable dureté, va quitter la ville de leur enfance pour "l'ailleurs", en l'occurrence la Californie. Elle veut faire carrière, être riche, acheter une voiture classe et puissante. Elle aura tout mais connaîtra la solitude et la nostalgie. Colette a laissé derrière elle Beau Gosse qu'elle juge trop casanier, pas assez ambitieux, le "bon" gars féru de mécanique, heureux avec peu. Paul saura lui prouver qu'elle l'a sous-estimé...

J'ai adoré ce roman qui nous plonge au cœur du bayou. Autour du couple central gravitent les membres de leur famille et leurs amis, tous décrits avec un réalisme teinté d'humour et d'humanité. Je me suis sentie littéralement transportée dans cette Louisiane écrasée par la chaleur et l'humidité. J'ai roulé en même temps que Paul ou Colette sur les petites routes recouvertes de coquilles de praires ou d’huîtres. J'ai savouré les gombos qui ont mijoté de longues heures sur le feu de la gazinière. De nombreux personnages ont un caractère bien trempé, voire mauvais caractère pour tout dire et leurs emportements sont à la fois homériques et drolatiques.

Le style (La traduction de Marc Amfreville est une vraie réussite) est à la hauteur de scènes d'anthologie : chasse aux ragondins, enfermement dans une chaudière, concours de tir dans un boui-boui ou sauvetage en mer qui transforme des outsiders en héros. Que dire encore ? Quand j'ai refermé ce livre, j'étais triste. J'aurais bien encore danser le jitterbug avec Beau Gosse, quitte à me faire étriller par Colette.