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Histoire de familles

Justine Lévy

Flammarion

  • Conseillé par (Libraire)
    13 janvier 2020

    Formidable mariage texte photos.

    Inventer des vies ou des moments de vie à partir de photos anonymes c’est le pari réussi par le site « The Anonymus Project » et l’écrivaine Justine Lévy. Un mariage étonnant entre image et texte.

    On les reconnait toutes. Elles sont datées. Identifiées. Les diapositives familiales de ces années bénies se reconnaissent au premier coup d’oeil. Kodachrome. Ektachrome sont les marqueurs d’un temps révolu. Agrandies, elles faisaient l’objet de longues soirées dans la pénombre où chacun somnolait en cachette. Pourtant, elles sont des trésors racontant nos vies et des époques. C’est ce que se dirent un jour deux universitaires, l’anglais Lee Schulman et la rouennaise Emmanuelle Halkin. Après avoir acheté une boîte de diapositives anonymes, puis une autre et encore une autre, après les avoir numérisées, mises en ligne, Lee reçoit spontanément d’autres boîtes anonymes. Il décide alors de créer en 2016 avec Emmanuelle « The Anonymus Project », une base unique de données archivant des dizaines de milliers de diapositives familiales allant des années cinquante aux années quatre-vingts. Au delà de leur intérêt sociologique, on ne peut sous estimer en regardant ces image numérisées leur aspect artistique, affectif. Ces couples qui posent devant leur voiture neuve ou ce jeune enfant arborant sa nouvelle tenue de cow-boy devant un arbre de Noël disent beaucoup de choses sur eux, leur époque mais aussi, par décalage, sur nos vies d’aujourd’hui. Elle nous émeuvent sans que l’on sache rien sur leurs auteurs. Elles laissent libre notre imagination en entourant les clichés de mystère. Qui sont ces personnages? Que font ils? Que vivent ils?

    Ces réponses on peut les inventer nous même. On peut aussi faire appel à l’imagination des écrivains qui n’ont pas leur pareil pour inventer des vies. Il est donc logique et naturel que des photographies issues du fond soient proposés à ces auteurs pour prolonger leur vie ressuscitée. La romancière Justine Lévy a été choisie pour cet ouvrage, un choix logique pour la fille de Bernard Henri Lévy qui à travers ses quatre romans ausculta la vie de sa famille si particulière et les conséquences sur son existence chaotique. Justin Lévy a simplement légendé des photos qui n’ont comme point commun que le thème de la famille. Des légendes qui racontent aussi leur auteure. Parfois constituées de une ou deux phrases, elles peuvent se prolonger comme une courte nouvelle. Mais toutes ont un ton commun où se mêlent l’humour, parfois mais plus souvent la noirceur et le cynisme. Quand vous ne voyez qu’une petite maison ensoleillée avec en façade un arbuste et une voiture à la porte d’un garage, Justine Lévy écrit: « Il faisait super beau, le jour où il massacré toute sa famille ». Les relations mère fille, sujet principal de ses romans, se prolongent sur de nombreuses photos où la romancière y voit rarement de l’amour mais plus souvent de la rivalité ou de la détestation. Justine Lévy imagine des pensées sombres derrière la façade sociale dans un décalage de ton jouissif. Le texte n’est qu’arrière pensée et dissimulation de la réalité. Sombre donc, mais parfois drôle jusqu’à l’éclat de rire tant le déphasage est inattendu.

    Si les textes décalés sont remarquables, on ne peut oublier cependant la qualité intrinsèque de nombreuses photos à une époque où déclare Lee Schulman, la photographie avait un coût et où l’on prenait soin du cadrage. L’émotion du temps passé apporte une patine artistique et nostalgique certaine.

    Quand on repose le livre on ne sait où le classer dans la bibliothèque. Le mieux est peut être de le poser sur la table de salon. Pour le feuilleter quand un coup de blues vous prend. Ou simplement rêver un peu sur une époque révolue, quand « c’était mieux avant ».

    Eric